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La société ignore les jeunes victimes du commerce du sexe

Winnipeg Free Press

17 mai 2009
Robert Marshall

La maltraitance sexuelle se décline en diverses formes. C'est un peu ce qu'ont appris les quelques centaines de policiers, de juristes et de travailleurs sociaux qui se sont entassés à l'hôtel Fort Garry la semaine dernière lors du colloque annuel du Centre canadien de protection de l'enfance. Ils ont aussi partagé leurs réflexions sur l'hypersexualisation des enfants, un phénomène qui dérange et que, parfois, on ignore tout simplement.

Le problème nous rend mal à l'aise, et on le laisserait volontiers entre les mains de la force publique - la police, les tribunaux et le système correctionnel. Mais on aurait tort, parce que la force publique n'a tout simplement pas le pouvoir de tout régler.

Le colloque rassemblait des experts et des militants nord-américains, britanniques et irlandais qui luttent depuis des années contre la sexualisation des enfants et ses dommages irréversibles. C'est une mission frustrante considérant ce que la liberté d'expression et les droits juridiques signifient désormais en ces temps modernes. Et sans démoniser la technologie, il faut reconnaître que ses progrès fulgurants ont donné au problème une ampleur sans précédent.

La sexualisation des enfants et leur marchandisation sont manifestement des formes de maltraitance. Notre indifférence en dit long sur notre société.

On se soucie peu des enfants engagés dans le commerce du sexe. Ce sont des rebuts de la société. Des enfants sans visage au passé tourmenté. On se plaît à penser qu'ils sont peu nombreux, mais ce n'est pas le cas. Ils s'installent au coin des rues pour se faire de l'argent. Ils attendent que des étrangers dans des voitures étranges les recueillent, sachant très bien que leur innocence appartient déjà à un passé lointain. D'autres sont mis au travail derrière des portes closes et, comme leurs homologues de la rue, ils savent que la plupart des gens sont indifférents à leur sort. Le crime organisé est très actif dans l'exploitation des enfants sous toutes ses formes, depuis le trafic de mineurs (ici même au Canada) jusqu'à la production et au commerce de vidéos pédopornographiques illégaux.

Au-delà de ces formes de maltraitance bien connues, des sociétés canadiennes aux stratégies parfois douteuses contribuent au problème. Certaines présentent des concours de beauté qui font parader des petits enfants de manière provocante à la télévision. D'autres utilisent des jeunes femmes délibérément travesties en jeunes filles dans des poses suggestives pour annoncer leurs produits.

Pour l'enfant du concours de beauté ou la jeune adolescente en quête d'identité, le message est clair... et il n'a rien de réjouissant.

Le pire, sans doute, c'est que ces activités commerciales légitimes font le bonheur des pédoprédateurs qui, en regardant une fille de cinq ans aux yeux fardés et à la peau autobronzée manier une canne de tambour-major, trouvent le moyen de satisfaire leurs besoins premiers à court terme. Mais le bombardement d'images suggestives d'enfants à la télé et sur les panneaux publicitaires exacerbe ces besoins et mène à des comportements sexuels et criminels dangereux qui détruisent des enfants.

Au colloque, certains experts comme Joe Sullivan ont fait des déclarations qui donnent à réfléchir. L'attirance sexuelle d'un prédateur pour les enfants ne se guérit pas. On peut seulement la traiter pour tenter, parfois vainement, de gérer ou de réduire les risques.

Et qui reçoit ces traitements? Selon une autre participante, Tink Palmer, qui œuvre dans le domaine de la protection de l'enfance en Angleterre depuis 25 ans, environ cinq pour cent seulement des cas déclarés de maltraitance au Royaume-Uni aboutissent à une condamnation. On peut supposer que la plupart des traitements sont imposés par un tribunal dans la foulée d'une condamnation. Or, souligne M. Sullivan, ces traitements ne réussissent pas tous, et le taux de condamnation de cinq pour cent en dit long sur l'incapacité des tribunaux à protéger les enfants.

On n'en fait pas assez pour la protection de l'enfance. En partie parce que l'on se refuse à reconnaître la gravité des conséquences. Peut-être qu'il serait plus facile (en particulier si nous ne sommes pas directement touchés) de mettre un terme à ces annonces provocantes et de dénigrer les concours de beauté télévisés en disant que c'est passé de mode, et non pour la seule autre vraie raison, à savoir qu'ils excitent les pédoprédateurs. Peut-être qu'il serait normal de tolérer la prostitution juvénile dans nos rues sous prétexte que la plupart des filles sont des autochtones à problèmes condamnées à l'aide sociale. Peut-être pensons-nous que tout cela ne nous concerne pas.

Un autre participant, John Wiens de l'Université du Manitoba, a fait remarquer que nos concitoyens sont prêts à aller au front à cause de quelques contraventions pour excès de vitesse dans une zone de travaux où personne n'a été blessé.

Pourtant, la maltraitance est un fléau qui suscite bien peu d'émoi. L'ambivalence à l'égard de la maltraitance, observe M. Wiens, se mesure facilement par la faiblesse de l'indignation populaire. C'est à croire que nous avons perdu notre sens moral.

Robert Marshall est consultant en sécurité et ancien membre de la police de Winnipeg.

rm112800@hotmail.com
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